J’ai fait un rêve

C’est un drôle de rêve qu’Alfred Raveau a retranscrit dans cette étrange tribune… Depuis, rassurez-vous, il va bien… Rappelons que les "tribunes" de ce site permettent aux auteurs de s’exprimer librement sur les sujets de leur choix, en rapport ou non avec les thématiques habituelles de l’ACN.

Réveille-toi, Fred... Je venais d’être vacciné contre la grippe, qui au départ ne me concernait pas, puisqu’elle était aviaire. Mais ça ne fait rien. Je suis sauf et tranquille; et tranquillisé parce qu’en ce moment, le fait d’être tranquille passe pour de l’inconscience totale. Des poulets perdus sans frontières, des migrateurs bourrés de virus qui planent par inertie en suivant les vents du moment, c’est-à-dire d’est en ouest, de l’Asie vers l’Europe.
 
Quand je pense qu’on m’a appris des tas de fois que les vents dominants en France allaient d’OUEST en EST. A qui se fier… Mais je soupçonne ces oiseaux d’être complètement déréglés ou de ne pas avoir suivi les normes de notre météo sacro-sainte.

Bref, maintenant ils sont là ces mignons piafs, les moineaux, comme toujours qui s’adaptent parfaitement aux situations les plus invraisemblables. On avait dit au début du siècle (le 20ème) que l’avènement de l’automobile tuerait le moineau en le privant de sa pitance habituelle et quotidienne: le crottin. Eh bien cent après, il n’y a plus de cheval de trait dans nos rues, il n’y a plus de crottin, sauf dans les graineteries, -et cher- mais il y a toujours des moineaux. Et qui maintenant me regardent d’un drôle d’oeil…

Il faut dire que tous les oiseaux maintenant semblent me regarder d’un drôle d’oeil.

Je leur donne tous les matins mes restants de mie de pain et autres friandises. Alors arrive un superbe couple de mésanges, qui me fixent carrément -c’est bon ce matin?- et picorent à toute vitesse pour en laisser le moins possible aux moineaux qui arrivent en masse. Le mâle, toujours cravaté, en premier pour assurer la sécurité; puis Madame et les petits derniers, qui plongent et piquent avant le signal de départ donné par papa qui surveille.

Viennent ensuite les merles, les sansonnets, des grosses brutes qui broutent carrément la pelouse, pour disséquer mon croûton.

Les ramiers avec leur raie blanche au cou, qui me font penser aux avions alliés, atterrissent ensuite en dandinant de leur queue, à droite, à gauche. Ils sont chez eux. Pour couronner le tout, un couple de geais, reconnaissables à leur plume bleue au bord d’attaque de l’aile, splendides, jacassent pour dire qu’ils sont là, eux aussi.

Et puis, très discret, précédé d’un minuscule petit cri, un oiseau minuscule, noir, la queue inversée vers l’avant, que je crois toujours disparu depuis longtemps, le troglodyte, comme un trait, il passe, l’oeil rigolard, et disparaît sous les tuiles d’un abri.

Ils sont tous là, comme d’habitude, et pourtant, j’ai le sentiment qu’il se passe quelque chose. Je ne sais pas quoi. Un sentiment étrange, de quelque chose de différent, dans l’air, un peu partout, avec tous ces oiseaux qui me regardent en bouffant, fixement, avec un quelque chose de plus qui commence à m’inquiéter…

Je suis d’habitude en très bons termes avec mes oiseaux. Mes rendez-vous quotidiens tiennent plus d’un cérémonial que d’un vulgaire acte de charité (donner-du-pain-à-ces-pauvres-oiseaux-affamés-qui-ont-si-froid). Ce serait plutôt la fête, et le regard complice du rouge-gorge confirme mon impression.

Mais aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’actualité les a rejoints eux aussi. Et s’ils avaient rencontré dans le ciel un migrateur paumé, amaigri par la maladie et la distance, et noué des contacts, fourni des adresses, des bonnes adresses, la mienne par exemple… Je me souviens de ces mouettes qui suivent les bateaux qui viennent de la mer jusqu’à Paris et qui vont saluer leurs congénères au Zoo de Vincennes. ..

Il y a donc des possibilités de contacts. Mais, bon dieu, mais c’est bien sûr… et alors, pourquoi me regardent-ils alors de cette façon? Aujourd’hui? Moi ? Il ne sont pas agressifs, à la Hitchcock. Non, ils sont présents comme s’ils voulaient me prévenir.

On connaît bien l’extrême sensibilité des oiseaux aux conditions climatiques et aux phénomènes naturels (le souvenir des oiseaux fuyant l’île quelques jours avant l’éruption de la Montagne Pelée… à la Martinique Guadeloupe me revient à la mémoire).

Alors que veulent -ils me dire? Ils picorent d’un autre air, si on peut dire, ils me regardent d’un air attentif et presque goguenard, et puis j’ai parfois l’impression qu’ils parlent entre eux de moi.

Mais qu’est-ce que j’ai de particulier aujourd’hui? Je suis habillé comme d’habitude, mon vieux jogging, mon vieux pull, mes vieilles tennis, j’ai pris mon petit cafécroissant comme d’habitude. Ensuite j’ai sorti les clés pour ouvrir la porte du jardin, sorti mes miettes, bref, la routine.

Ils commencent vraiment à m’inquiéter, ces oiseaux de malheur. Je n’aime pas quand je n’ai pas d’explications, ah non, je n’aime pas ça…

Et ils sont tous là, maintenant, à me regarder, plus fixement encore, plus rigolards encore, ils semblent se rapprocher doucement, tout doucement, comme pour ne pas m’effrayer, -un comble-, je les trouve très adultes tout d’un coup, très réfléchis.

Mon cerveau fonctionne à toute vitesse, je ne m’affole pas, il ne se passe rien de visible, de palpable. Non, c’est pire. Cela devient tout simplement insoutenable. Je réfléchis à 100 à l’heure. Bon, hier le pharmacien, la queue pour la vaccination, la vaccination elle-même, une légère piqûre dans le bras, mais bon ce n’est pas la première fois, et puis salut, au revoir, la maison, la routine.

Voyons, comment ils étaient hier matin? J’essaie de me souvenir du regard du moineau. comme d’habitude. Non. Rien de particulier. Le ramier. Non. Se dandine toujours. Me tournait le dos, même.

Il s’est donc passé quelque chose entre eux et moi entre hier matin et aujourd’hui.

Dans la journée, je n’ai écrasé aucun moineau, aucun volatile, j’ai la conscience tranquille. Ils ne peuvent rien me reprocher.

Non. Mais je délire, je commence à les considérer comme des humains, il faut pas exagérer, pourtant, ce regard… Bon, après tout ça ne va pas m’empêcher de me raser… Je me regarde à nouveau dans la glace. Je me rapproche un peu, un peu plus. Non. Non, ce n’est pas possible. Je me suis bien rasé hier, pas il y a quatre jours, c’était bien hier, juste avant de distribuer mes mies de pain… 

Les poils du menton ont légèrement changé de forme. Ils sont drus, comme d’habitude, mais on dirait qu’ils sont creux! Ils sont noirs, mais noirs creux! Oh c’est tout petit, mais c’est creux, une démangeaison sur la poitrine, et je me gratte. Les poils de la poitrine sont creux, aussi! Ah Non! L’horreur! Mes poils sont en train de se convertir en plumes! et vite!

Que faire? Vite mon rasoir! Mise en route, à l’électricité, il n’y aura pas de problème. Si. Il y a un problème. Il y a un gros problème. Le rasoir se bloque . Comme une tronçonneuse devant un tronc trop gros. Ca bloque et ça fume.

Vite le rasoir mécanique! Je mets une lame neuve. Il va falloir tailler dans du mastoc. J’essaie. Crac. La lame se casse. Déjà trop épais. Et ça pousse de plus en plus dru.

D’abord, un duvet genre cul de poule, mais déjà les bras me démangent, mes poils, tous mes poils se transforment en plumes! Mes bras deviennent des ailes avec des plumes qui s’allongent, qui s’allongent.

J’ai des plumes aux pattes. J’ai des plumes partout, qui s’allongent. Je n’ose plus me regarder. Je vais pouvoir voler, au point où j’en suis…

Ce serait quand même dingue, si je pouvais passer directement du lit au fauteuil, dans un premier temps, juste pour essayer, sans toucher le sol.

Une violente douleur au bas du dos me réveille.

La radio est là, à mes côtés: "un communiqué de l’AFP: info santé: les personnes déjà vaccinées contre la grippe humano-aviaire sont avisées qu’elles sont susceptibles de souffrir d’effets secondaires gênants, notamment de certaines mutations de poils en plumes…"   

Fred.

(en hommage à Marcel Aymé.)

Crédit photo: Image de l’oiseau sous licence CreativeCommons, par  Alida.

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